Les Celtes, héritiers tardifs


La Panique de Cernunnos

Perpétuelle expansion du nœud fermé,
Complexe aux bois de Cernunnos entrelacé
En verte frange après les branchages moussus,
Le dragon se confond dans les chênes barbus.
Quand il vient à pas échassés sur ses sabots,
Au détour de la clairière, des marigots
D’un sentier de cerfs ; ou triomphant est juché
Assis en fleur pour la maîtresse du rucher
Son thyrse en caducée à ce serpent offert
Ainsi qu’un trône où Mélusine ouvre sa chair,
Naturel sauvage et sagesse en doux bourdon
Grand Tout bestial accouplé à sa conception !
Vaisseaux de la sylve aux brumes aérienne
Qui court de l’humus dans les noirceurs, souterraine,
Dont la conscience à l’homunculus est semblable
De l’humain par sa double nature insondable,
Il tremble, fœtus dénudé par l’existence
En soi enfouie de sa potentielle omniscience.


Les Vents des Monts assis

D’une civilisation mégalithique
Vestiges renversés d’arche tétraédrique
Comme par un vertige, le pyramidion
Se cache entre les murs d’un tertre au creux plafond.
Ouverte en trône, Isis hurlant son élégie,
Chemine un loculus vers une galerie.
Ornée des feux de son granitique collier,
Pointe à l’horizon bleu sombre la royauté.


Un trou dans la roche

Berceau lunaire insérable en une cupule
Où rêva la druidesse allongée alanguie,
Les rayons venant frapper ce croissant de cuivre
Tombent d’astres croisant leur répercussion nulle.
En une sylve emmêlée, sa forme se plie,
Lieu secret comme une tombe où renaît la Vouivre.


La Momie de la Tourbière

Parmi l’entrelacement noueux des racines
Des vieux aulnes dont ploient à fleur de l’eau les rames
Chargées de lianes terrestres fleuries d’ondines,
Baigné de murmures où circulent des âmes
Au vert scintillement des lucioles, lanterne
Tressée de lierre, aux nuits d’été son corps hiberne.
De la tourbière étendu sous la surface,
Les yeux clos, contemplant l’invisible, face
Au ciel, le druide rêve en la sphaigne, momie
Prolongeant le songe, à l’infini, de la vie
Vers des contrées dont seul l’enfant connaît le nom.
Sommeil méditatif, jusqu’à la conjonction,
Dans un rouge éclair, où la tribu, sa famille,
Viendra l’extirper, lueur d’un flambeau qui vacille.


Enlacement

Galette ophite au tour d’un serpent retournée
Tel, tombe au sol, le pain du bourreau mis à part.
Présage d’un autour, fenêtre barbelée,
A la petite ogive en un piège, hagard,
Pris, se débattant crie le chevalier-fée
Tendant ses bras ailés vers l’amante plaintive.
La dame de Caerwent attend toujours, pensive,
Et, princesse ignorée, n’a pas poussé la brique
Tant l’espoir fait chérir un cachot méphitique.


La Cataracte

A l’âge de raison aboli par l’enfant,
Bisclavret à la double personnalité
Développant de ses sens l’extrême acuité,
Troisième-œil occipital transversalement,
Se racornit l’organe ombreux de sa conscience.
Connaissance à jamais perdue de l’innocence !
Atrophié, le bifrons oublie la lumière
Qui ornait son front d’arabesques oniriques,
Et des variations vibrant de chants magiques
Le rythme enchanté s’abaisse à la matière.


La Pierre des Druides

Cœur d’un nœud d’aspics, creux en son centre, luit
L’Ovum anguinum jaspé, fil d’écume verte.
Lanterne de dragon qui sur soi s’empelote,
Une licorne en nue cendrée rue dans la nuit.
Et regrettant d’un sigil naturel la perte,
Sa lascivité s’enlace, hydre polyglotte
Tel, d’arêtes hérissées, le fond d’une grotte.


Qui es-tu ?

Si adorablement pleine de grâce tendre,
Du fond de ce regard aux teintes incertaines,
Je crains toujours que tu ne sois une meïga !
Comme celles aux pêcheurs venus les attendre
Lançant les filets, les enchaînant à leurs peines,
De sorts, courant tourbillonnant, fous la ría
Traversant étreints à d’invisibles entraves
Dans la brume où s’échouent d’ancestrales épaves,
Plus doux que ce reflet gris-pâle en tes prunelles
Qui me jette avec joie aux flammes éternelles !


La Couronne constellée

Le serpent mue comme un oignon monté du Nil ;
De coupelles d’or se dispose le pistil
Comme une étoile de Vénus dans le granite,
Des astres lumineux s’ajustant à l’orbite.
Vierge de Remi Meyer, Déesse de pierre,
A l’angle du solstice affleure le mystère.
Trivium d’Yach aux sept falaises au creux ancien,
Axe sud d’un triangle pythagoricien.


Le Prisme universel

Par un dodécaèdre en quartz microcosmique,
De l’horizon parfait du mont de Bélénos,
Le druide en son cylindre observe le Cosmos.
Miniature en couleurs d’un univers sphérique
Dont chaque face inverse en rose communique,
Chacun des astres en son étoile en patron
Redéploie par cinq fois la multiplication
Dans la perfection de sa juste illusion.


Le Dieu à trois cornes

Sous les auspices favorables aux Taureaux,
Tel un démon celte ondoyant par les troupeaux,
Berger ancien coiffé d’un tricorne de chair,
Le cyclope à trois cornes veille en un éclair.
Tourbillonnant obscure ainsi qu’en une transe,
Du maléfice, alors, la nuit noire commence.
Dans les brumes parfumées de vapeurs de miel
Sur de verts pâturages dansant comme un ciel,
Le numéro d’illusionniste du réel,
Entre les décors résonne son sombre appel.
Jongleur des lieux, je détourne votre attention,
Ou plutôt, vous la détournez par votre action,
Trigaire épousant d’Ycona le lit du fleuve
Comme un reflet son icône après mainte épreuve.


La Truite du Belchensee

Lentement, elle circule, un petit sapin
Croissant sur son dos moussu tout autour du lac.
Cependant que Bélénos à la lune verte
Contemple immobile en un regret le déclin
Comme le croulement d’un mont-joie du Larzac
Qui donne un repère au berger en pure perte,
La déesse Fricka, des luxuriants orages
Frémit de sa gorge tremblante une élégie
Que la brume en son haleine solidifie
Où se mélange un rictus luxurieux des Ages.


Civilisation oubliée

Le double dissipé, quand la brume s’efface,
Revient de sa dimension des Ballons d’Alsace.
Les Celtes, héritiers tardifs des monolithes,
Calculaient encor les astres à leurs cupules,
En des visions chamaniques par ces rites
Plantant au point exact le bras de leurs férules,
Le lever du soleil à l’angle de la pierre
Par le ventre coupé d’une déesse mère.
Aux quatre vents des équinoxes et solstices
Par la lune animés, flamboient leurs interstices.


                                        Joël Gissy

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