Lecture de poésie au Lazaret de Sète le mercredi 17 août 2016
V.
Je crois aux dieux féconds des mers originelles
Régnant sur les palais de cités éternelles
Et vois au fond des flots de vastes sanctuaires
Dentelés de coraux, des rivages qui plongent
Parmi les blancs récifs et les tertres qui songent
Dans l’immensité bleue de gouffres somptuaires
En un monde abyssal plus ténébreux et vague
Qu’une fosse océane. Et maint flasque géant
Dans ce visqueux éther ondule fainéant,
Sombre et tentaculaire, or que son ventre élague
Des jardins suspendus comme des cathédrales,
Tandis que dans la nuit scintillent les yeux pâles
Des calamars craintifs. Mais l’austère musique
De ce chaos immonde a d’étranges merveilles
Dont chaque bulle blonde éclot dans les oreilles
De quelque vieux démon, physeter fantastique
Qui gronde certain soir. Et ce chant de sirène
En mon esprit résonne et charme mes pensées,
Comme si quelquefois des profondeurs glacées
Montait l’appel d’une Vénus anadyomène.
Les Halieutiques de Delphes
Dans les couloirs d’un temple où les dauphins s’ébattent,
Qui donne sur la mer d’un bleu vésuvien
Pénétré par le ciel rose aux moiteurs timides
Qu’arrosent caverneux leurs rires qui éclatent,
Deux sirènes hybrides, montées du bassin,
S’enlaçant guident parmi ces canaux limpides
L’étranger que caresse un ballet chimérique.
Il s’abandonne au son de trompes et de conques,
Etranges, comme émanées d’invisibles jonques !
Et porté par ces flots en leur grotte aquatique,
Nageant tel un centaure, l’autre explorateur
Contemple des dieux philistins sous cette crique
Que balaie sa mémoire en un éveil trompeur.
Désir et Musique
Les frissons du désir, enfants de la musique,
Submergent un esprit et s’enflent dans nos chairs
Comme un orage empli de spasmes électriques.
La vague énorme semble emporter par les airs
Le cœur que transporte son élan pathétique,
Soudain précipité en de lointains éthers.
Et dans un océan de rayons prismatiques,
Il s’ébat, quand frappé d’innombrables éclairs
Qui s’abattent sur lui, foudre accusateur,
Leur éclat le soustrait à cette apesanteur.
Alors, pareil à l’oiseau transpercé d’un trait,
Fracassé contre la berge en mille explosions,
Se débattant parmi d’affreuses convulsions,
Son battement se meurt ainsi qu’un menuet.
Attendrissement
Je suis pareil à ces hippocampes d’Ilion,
Qui par milliers, amicaux, vont voir les plongeurs
Parmi l’espace scintillant des profondeurs,
Et meurent soudain à la première émotion !
Avant de remonter, triste nuée de corps,
Les petits équidés, mignons et pleins de grâce,
Font un ballet aquatique, et plus d’un embrasse
Du bout de sa trompe aimable, en ces beaux décors,
Le curieux qui les trouble, et l’aime et l’accompagne.
Alors, vers la lumière ondoyante il regagne,
Porté par l’écume oublieuse aux plages claires,
La vaste éternité dont à peine affleurait
Ces myriades de consciences élémentaires
Dont s’éteint en un souffle indistinct le secret.
Conscience végétale
D’un lac souterrain où sommeillent des ondines
Forêt vivante obscurément dont les racines,
Démultiplication d’un fin réseau de nerf,
Mouvantes se souviennent, inversées dans l’air,
Temple secret qui, flots en rideaux, et colonnes
De stalactites se joignant aux stalagmites
Sous la voûte de cristaux et de fluorites,
Vers un soleil enfoui se déploient leurs neurones.
Cherchant son passage ainsi qu’un peuple de vers,
L’Arbre Yggdrasil croît vers le centre en tissus pâles,
Des troncs noueux qui s’enflent ainsi que des chairs
Enchevêtrées d’allées et venues animales.
Fantaisie nocturne
Au moment de la nuit où la sylve a des yeux,
Or qu’à l’épuisement s’enrhument les babils
Des courlis ainsi que des sylphes silencieux,
Quand les saules pleureurs écument de leurs cils
La vase du marais qui s’endort et pétune
Un nuage estompé par le flambant reflet
Des feux follets mêlés aux rayons de la lune,
Mon souffle est prêt de s’éteindre et mon cœur se tait
Comme pour vibrer au chant des chouettes chevêches.
Alors, des constellations d’ondines revêches
Embrasent leurs auras de sinople éclatant
Dont la chandelle ubuesque expire en grésillant
Tel un prisme ardent à chaque fois que la brise
Tourne la feuille argent des aulnes qu’elle irise.
La Panique de Cernunnos
Perpétuelle expansion du nœud fermé,
Complexe aux bois de Cernunnos entrelacé
En verte frange après les branchages moussus,
Le dragon se confond dans les chênes barbus.
Quand il vient à pas échassés sur ses sabots,
Au détour de la clairière, des marigots
D’un sentier de cerfs ; ou triomphant est juché
Assis en fleur pour la maîtresse du rucher
Son thyrse en caducée à ce serpent offert
Ainsi qu’un trône où Mélusine ouvre sa chair,
Naturel sauvage et sagesse en doux bourdon
Grand Tout bestial accouplé à sa conception !
Vaisseaux de la sylve aux brumes aérienne
Qui court de l’humus dans les noirceurs, souterraine,
Dont la conscience à l’homunculus est semblable
De l’humain par sa double nature insondable,
Il tremble, fœtus dénudé par l’existence
En soi enfouie de sa potentielle omniscience.
L’Arbre à papillons
Par cette canicule où s’abattent les eaux,
Au soir, quand s’apaisent les diurnes éléments,
Voletant autour des buddleias palpitants,
Les papillons roux semblent de petits oiseaux.
La vanessa, telle une Atlante évanescente,
Se pose en son parfum avant qu’il ne la sente.
L’eau et le feu se battent, flux vaporisants.
Les Mastabas sylvestres
De retour d’un voyage près d’une frontière,
Dans une forêt étrangement familière,
J’explore un domaine broussailleux de lierre
Des pyramides à degrés comme des mines
Dont les sombres entrées s’enfoncent dans la terre.
Un dédale ancien découvre-t-il ses racines?
Réminiscence de périls chevaleresques,
A l’aube, ces puits incertains semblent des fresques
Parmi le feuillage clair des contrées tudesques.
Mi-ombre
De ma bouche embrumée par des rêves ambrés,
La fumée s’en va comme une albe chevelure.
Maturation sans fin d’intuition future,
Se forment les embruns d’illusions marbrés.
De spirales brisées en les volutes d’or,
Les reflets d’algorithmes s’enroulent en un
Tels les échos d’un rythme pythagoricien,
Dans un nuage déployant son nombre encor.
La Forêt nocturne
Fleurs musicales aux mille odeurs colorées,
Tintent les clochettes en la sylve onirique,
De neigeux pollens étincelant saupoudrées.
Charmille d’un arbuste, au creux d’un feu-follet,
Joue un jeu magique un petit être violet.
Le rêveur avance en un ruisseau féerique
Sur la tendre clairière de mousse et d’épines
Comme une chambre intime embaumée de résines.
Dialogue onirique
Le désir du Néant a conduit plus d’un homme
A songer, or que le sommeil ne venait pas,
Aux infinies douceurs de son propre trépas.
Les voluptés de l’oubli s’ouvrent parfois comme
Une naissance à un autre univers conscient.
-Car c’est seulement lorsque l’on ne veut plus être,
Que l’on est réellement.- Ainsi déficient,
Je descendis malgré moi dans le gouffre traître,
Comme nageant parmi les laves corrosives,
Tandis que ma chair fondue semblait me quitter
A mesure que j’allai par l’immensité
D’un cratère où m’englobaient, formes primitives,
Les cercles mystérieux de la métempsycose.
Par delà les épais manteaux d’or et de braise,
En des cavernes où l’esprit, mal à son aise,
Parmi des limbes argentés se décompose,
Je plongeai en proie à une harmonie immonde.
Tout n’était que notes et rythmes affolés,
D’un agencement trop dément pour notre monde
Ainsi qu’un clavecin en spasmes effilés,
Plus éloquent que les stances d’Anacréon,
Ou tel un orgue au ventre en spire interminable
Pliant l’espace-temps comme un accordéon.
Alors je devinai l’Enorme abominable,
Au milieu de cette étrange cacophonie :
Etait-ce un fœtus, un monstre céphalopode ?
La forme inachevée, anormale et honnie
D’une phalène dont la vague angoisse rode ?
Je ne sais précisément ce que nous nous dîmes,
Conversant en esprit au fond des noirs abîmes,-
Mais cette rêverie sublime, or que j’oublie,
Me laisse à cet instant comme une nostalgie.
Songe diluvien
1.
De chaque rêve, m’efforçant à retenir
Ce poème, je m’éveillais, le griffonnant,
Des palissades de Sumer, Mayas ou Tyr,
D’une tour médiévale, en Grèce, vieux savant :
2.
Labyrinthe aux odeurs de guimauve et d’absinthe,
Le bateau craque ainsi qu’une sylve enchantée
Qui grince en fond de cale en musicale plainte.
Tunnels cerclés sans fin d’une voûte boisée
Où balance une lanterne verte accrochée,
Le foudre semble une arche de cèdre égarée.
L’Union spirituelle
Nous nous retrouverons, baignés par l’air bleuté
D’un océan spirituel de volupté.
Et nous nous étreindrons ardemment d’âme à âme
Pareils à deux papillons autour d’une flamme,
Songeant aux amours brisées de nos corps de chair.
Nos désirs éthérés, semblables à l’éclair,
Nageront l’un vers l’autre, esprits purs et glorieux,
Portés par la passion qui pourfend les cieux !
Alors, librement, l’Androgyne originel,
Tout de lumière éblouissante auréolé,
Fleur d’un Nirvana d’azur sombre et velouté,
Embrassera les feux de son rêve éternel.
Joël Gissy