Grand merci à Floriane Heger pour l'organisation de cette soirée et la beauté de son spectacle.
La Panique de Cernunnos
Perpétuelle expansion du nœud fermé,
Complexe aux bois de Cernunnos entrelacé
En verte frange après les branchages moussus,
Le dragon se confond dans les chênes barbus.
Quand il vient à pas échassés sur ses sabots,
Au détour de la clairière, des marigots
D’un sentier de cerfs ; ou triomphant est juché
Assis en fleur pour la maîtresse du rucher
Son thyrse en caducée à ce serpent offert
Ainsi qu’un trône où Mélusine ouvre sa chair,
Naturel sauvage et sagesse en doux bourdon
Grand Tout bestial accouplé à sa conception !
Vaisseaux de la sylve aux brumes aérienne
Qui court de l’humus dans les noirceurs, souterraine,
Dont la conscience à l’homunculus est semblable
De l’humain par sa double nature insondable,
Il tremble, fœtus dénudé par l’existence
En soi enfouie de sa potentielle omniscience.
Les Halieutiques de Delphes
Dans les couloirs d’un temple où les dauphins s’ébattent,
Qui donne sur la mer d’un bleu vésuvien
Pénétré par le ciel rose aux moiteurs timides
Qu’arrosent caverneux leurs rires qui éclatent,
Deux sirènes hybrides, montées du bassin,
S’enlaçant guident parmi ces canaux limpides
L’étranger que caresse un ballet chimérique.
Il s’abandonne au son de trompes et de conques,
Etranges, comme émanées d’invisibles jonques !
Et porté par ces flots en leur grotte aquatique,
Nageant tel un centaure, l’autre explorateur
Contemple des dieux philistins sous cette crique
Que balaie sa mémoire en un éveil trompeur.
Inspiration d’Or
Le Monde s’organise en immense égrégore
Né des profondeurs de l’inconscient collectif.
Palingénésie mue d’un courant primitif,
La pulsation s’accroît toujours avant d’éclore.
L’existence, en réification théurgique
Peuplée de tulpas, prend forme, aura de musique
Dont l’onde s’alourdit, décantée en matière
Vibrante et condensée ainsi que la lumière.
Rayons ultraviolets d’un chant d’infrabasse,
D’autres dimensions bien plus évoluées
Rêvent, tel un démiurge en vivantes pensées
Et l’esprit dans soi-même infiniment trépasse
Où l’Unique évolue à travers les regards
Tentaculaires de chaque être en des hasards
Dont la coïncidence accroît la perfection
Au détail près de sa démultiplication.
Attendrissement
Je suis pareil à ces hippocampes d’Ilion,
Qui par milliers, amicaux, vont voir les plongeurs
Parmi l’espace scintillant des profondeurs,
Et meurent soudain à la première émotion !
Avant de remonter, triste nuée de corps,
Les petits équidés, mignons et pleins de grâce,
Font un ballet aquatique, et plus d’un embrasse
Du bout de sa trompe aimable, en ces beaux décors,
Le curieux qui les trouble, et l’aime et l’accompagne.
Alors, vers la lumière ondoyante il regagne,
Porté par l’écume oublieuse aux plages claires,
La vaste éternité dont à peine affleurait
Ces myriades de consciences élémentaires
Dont s’éteint en un souffle indistinct le secret.
La Fée verte du Bockloch
Légende du Schlossberg
Il est près d’un village nommé Wildenstein
Un château en ruine au sommet d’une montagne
Rocheuse qu’environne une verte campagne.
Une légende –ce n’est pas celle de Daïn,
Ni celle d’Artus, mais d’une crête incertaine-
Raconte qu’au temps jadis, des seigneurs brigands,
Barbares sans pitié, pillards et arrogants,
Avaient élu demeure sur ce roc en peine.
Chasseurs invétérés, hommes durs et cruels,
Assassinant sans cesse et malmenant leurs serfs,
Ils aimaient avant tout la guerre et les duels
Et traquer jusqu’au fond des bois les nobles cerfs
Qui parfois se jetaient dans l’onde tourmentée
D’une chute immense qu’on dit toujours hantée
Par le fantôme vert d’un chevalier sauvage.
Ce fut une nuit sombre, avide de carnage,
Que le seigneur le plus brutal de ces bandits
Périt dans le tumulte avec son destrier,
En traquant un brocard par les gouffres maudits.
Les anciens savent encor que le meurtrier,
En poursuivant la bête noire aux yeux jaunâtres,
Jura plus d’une fois le saint jour de Noël
Avant de sombrer dans le courant éternel.
Depuis ce soir funeste, on tremble au coin des âtres
Aux parages de la sombre forêt damnée.
Il m’arrive d’aller dans cette ruine austère
Quand vient l’été frileux, au moment de l’année
Où la nature est calme ainsi qu’un cimetière,
Afin de surprendre le galop frénétique
Du cavalier qui erre en ces lieux désolés.
C’est une forêt troglodyte et pathétique
Qu’un murmure parmi les arbres boursouflés
Emplit d’une diffuse et troublante inquiétude,
Qui court sur votre nuque comme un baiser froid !
Sous une voûte intacte, un escalier étroit
Conduit à un petit pré par un sentier rude
Duquel j’aime contempler le val endormi.
Mais lors d’une nuit obscure aux ombres mouvantes,
Je fus frappé en mon sein, meurtri à demi,
Par l’inflexion aux langueurs évanescentes
D’une plainte hésitante, humble et surnaturelle,
Qu’une voix pleine de douce mélancolie
Egrenait au vitrail ardent d’une tourelle.
Alors je levai mon regard plein de folie
En direction de cette apparition spectrale
Que je devinais à la lueur vagabonde,
Et je fus saisi d’une froideur sépulcrale
Quand j’aperçus soudain une sylphide blonde
Qui se tenait livide à la fenêtre enclose.
L’étrange miniature était si frêle et pâle
Que le vent balançait sa chevelure éclose
A la trouble verdeur de ses beaux yeux d’opale ;
Et désespérément, la grêle prisonnière
Se penchait sur l’abîme, blême et implorante,
Comme si derrière elle la glauque lumière
De ses geôliers l’eût fait vaciller d’épouvante,
Esclave maltraitée par de lâches bourreaux,
De sa prison de verre étreignant les barreaux,
Ou telle une pensée qui s’incline et frémit
Aux tendres feux du soir qui frissonne et gémit
Quand vient le crépuscule en soupirs éclatants.
Emu, alors certain que mon heure sonnait,
J’escaladai la falaise jusqu’au sommet
Pour cueillir la fleur aux longs rais étincelants.
Je caressai la corolle à plat sur ma paume,
Juste entre deux doigts, puis brisai le fil d’arôme
Par où tenait la vie de cette créature,
Calice odorant sur un lit de pourriture.
Grelottante et blottie ainsi qu’un petit être,
Je sentis mourir au creux de mes mains ouvertes,
Et perdre le souffle en suintant des gouttes vertes,
La fée dont un instant j’avais été le maître.
Alors la voix se tut –j’avais rompu le charme-,
Et je crus que la rose versait une larme…
Sur le roc mystérieux où je savais entendre
Autrefois les sanglots d’un air tristement tendre
Ebruité par la fraîche rosée du couchant,
Je ne vois plus que ravage et destruction,
Or qu’en place de mélopée, le cri méchant
Et comme plein de glace du morne aquilon
Siffle un remords lugubre dans la nuit humide
Que la lune irise d’un éclat maléfique,
Tandis qu’au loin varie le jappement timide
Du perfide chat-pard et d’un chien famélique.
Joël Gissy
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