Lecture de poésie au Lazaret de Sète, le mercredi 22 août 2018
Les poèmes de la soirée :
V.
(Extrait du recueil "Noctifer, Le porteur de nuit")
Je crois aux dieux féconds des mers originelles
Régnant sur les palais de cités éternelles
Et vois au fond des flots de vastes sanctuaires
Dentelés de coraux, des rivages qui plongent
Parmi les blancs récifs et les tertres qui songent
Dans l’immensité bleue de gouffres somptuaires
En un monde abyssal plus ténébreux et vague
Qu’une fosse océane. Et maint flasque géant
Dans ce visqueux éther ondule fainéant,
Sombre et tentaculaire, or que son ventre élague
Des jardins suspendus comme des cathédrales,
Tandis que dans la nuit scintillent les yeux pâles
Des calamars craintifs. Mais l’austère musique
De ce chaos immonde a d’étranges merveilles
Dont chaque bulle blonde éclot dans les oreilles
De quelque vieux démon, physeter fantastique
Qui gronde certain soir. Et ce chant de sirène
En mon esprit résonne et charme mes pensées,
Comme si quelquefois des profondeurs glacées
Montait l’appel d’une Vénus anadyomène.
Rassemblement de goélands
Sur un port sétois hurlant d’oiseaux nasillards
Ainsi qu’un peuple désordonné de voilures,
C’est un plaisir intense aux abîmes blafards
Dont la profondeur vague évoque les peintures
D’un artiste de plage aux mains brûlées de sel,
Que de rêver parmi ces temples du voyage
A des contrées sans âge au rivage pastel.
Alors, tandis que l’ombre de mon esprit nage
En des limbes sablés de sphères prismatiques,
Où l’air du large abonde au soir montant des criques,
Une silhouette au contour d’aérolithe,
Ecumant en mille gerbes de lueur sombre,
Replonge ainsi qu’un étincelant monolithe
Au milieu d’un nuage aux phosphores sans nombre.
Les Halieutiques de Delphes
Dans les couloirs d’un temple où les dauphins s’ébattent,
Qui donne sur la mer d’un bleu vésuvien
Pénétré par le ciel rose aux moiteurs timides
Qu’arrosent caverneux leurs rires qui éclatent,
Deux sirènes hybrides, montées du bassin,
S’enlaçant guident parmi ces canaux limpides
L’étranger que caresse un ballet chimérique.
Il s’abandonne au son de trompes et de conques,
Etranges, comme émanées d’invisibles jonques !
Et porté par ces flots en leur grotte aquatique,
Nageant tel un centaure, l’autre explorateur
Contemple des dieux philistins sous cette crique
Que balaie sa mémoire en un éveil trompeur.
A travers les cristaux
1.
Par une noire pierre de solstice
Près des Pierres Blanches, en l’interstice
Fendu sur le sommet du Mont Saint-Clair,
Refuge d’hermites, puis de Cathares,
D’un ancien temps préhistorique, un vert
Rayon, frappe le roc des dieux lares.
L’Apocalypse en tout est permanente
Et se dévoile à mi-chemin de pente.
2.
L’au-delà creux d’une vie parallèle,
Rêve d’âmes gigognes, se révèle.
Dans un utérus thanatonautique,
Vers la lueur d’un soleil souterrain
Forçant du temple la porte d’airain,
Au puits, l’enfant me guide, énigmatique.
Attendrissement
Je suis pareil à ces hippocampes d’Ilion,
Qui par milliers, amicaux, vont voir les plongeurs
Parmi l’espace scintillant des profondeurs,
Et meurent soudain à la première émotion !
Avant de remonter, triste nuée de corps,
Les petits équidés, mignons et pleins de grâce,
Font un ballet aquatique, et plus d’un embrasse
Du bout de sa trompe aimable, en ces beaux décors,
Le curieux qui les trouble, et l’aime et l’accompagne.
Alors, vers la lumière ondoyante il regagne,
Porté par l’écume oublieuse aux plages claires,
La vaste éternité dont à peine affleurait
Ces myriades de consciences élémentaires
Dont s’éteint en un souffle indistinct le secret.
Les Mystères de Diane
La Dame de l’Est
Dans une atmosphère aux vapeurs odorifères
Que les clartés semées d’un vert étincelant,
Filtrant des rameaux mentholés des conifères,
Enchantent sous l’éclat d’un diurne croissant,
La sylve en pleurs soudain frémit comme animée
D’un reflet qui circule en brise scintillante
Où tintent les rayons de la lune implorante.
Parmi la nuit bleutée qui semble illuminée
Par des constellations de lucioles, s’ébattent
Les mouvants tableaux de ménades sous leurs voiles
Qui tourbillonnent aux lueurs des feux, et battent
Ainsi que de blancs Saint-Elmes sous les étoiles
Les ondoiements légers d’ors flottants et gracieux.
Mais, révélée d’une charmille où se déploie
Ce florilège esthétique et voluptueux,
Comme émergée des toiles d’un halo de soie,
Se révèle, inconnue, sur la mousse imprégnée
De son pas où fleurissent les pensées, Diane,
Or que plane une étrange et douce mélopée,
Couronnée de lierre, en sa nudité diaphane
Surgie telle une biche au bord de la clairière.
Et toute encor enveloppée de cheveux d’anges,
Au milieu des damnées qui chantent ses louanges,
Elle déroule un flot d’ambre sur la rivière,
Cependant que la Nature des origines,
Tel un cercle d’eau qui se souvient de son centre,
Reprend vie et s’anime en un frisson où entre
Sa main liseronnée, de ces rondeurs divines
Jusque dans les tréfonds nébuleux des courants.
Les animaux en couples viennent l’adorer ;
Tout près, dans l’ombre, on sent des spectres hésitants.
L’abondance a versé, rituel spontané,
Emouvant l’horizon nimbé d’un rose ancien,
Jusqu’à l’apothéose, un pâle épanchement.
Et perçant les blanches traînées du ciel changeant
Juste éclose de l’orgie, la rosée qui vient,
Evadée un instant de sa corolle humide,
Se meurt dissipée dans la fraîcheur du matin
Qui déjà en des nuées de sylphes, sapide
Confond comme un murmure oublié son parfum.
La Vieille de la Mer
D’Ægypans sacrés au bord des sylves d’Egée
Qu’en des lueurs argentées, nues sur l’onde lisse,
Célébraient en secret des vierges, complice,
Tricotant comme une araignée, la femme âgée,
Un peu tannée par un vieux soleil, se souvient.
«C’était (elle déraille !) avant, bien loin avant
Qu’outre allant par le sud Ménélas vînt du Nord.
Serpent de mer s’en va dans l’écume et revient.
Veux-je dire, en premier, transportés par le vent,
Plus long que mes blancs cheveux d’un subtil accord. »
-Quant aux fiancées de la nuit, fleurs de magies ?
Chantant aux brumes bleues d’étranges élégies,
A la pleine lune, en une crique atlantique
Que parfume un bosquet d’eucalyptus, tragique,
On les voit encor, irisant leur peau diaphane,
Comme aux griffes des vieillards de Piola, Suzanne.-
Puis, l’enfant se tait, pythie à faire pitié.
Raisonnablement fou qui la croit à moitié.
La Panique de Cernunnos
Perpétuelle expansion du nœud fermé,
Complexe aux bois de Cernunnos entrelacé
En verte frange après les branchages moussus,
Le dragon se confond dans les chênes barbus.
Quand il vient à pas échassés sur ses sabots,
Au détour de la clairière, des marigots
D’un sentier de cerfs ; ou triomphant est juché
Assis en fleur pour la maîtresse du rucher
Son thyrse en caducée à ce serpent offert
Ainsi qu’un trône où Mélusine ouvre sa chair,
Naturel sauvage et sagesse en doux bourdon
Grand Tout bestial accouplé à sa conception !
Vaisseaux de la sylve aux brumes aérienne
Qui court de l’humus dans les noirceurs, souterraine,
Dont la conscience à l’homunculus est semblable
De l’humain par sa double nature insondable,
Il tremble, fœtus dénudé par l’existence
En soi enfouie de sa potentielle omniscience.
L’Arbre à papillons
Par cette canicule où s’abattent les eaux,
Au soir, quand s’apaisent les diurnes éléments,
Voletant autour des buddleias palpitants,
Les papillons roux semblent de petits oiseaux.
La vanessa, telle une Atlante évanescente,
Se pose en son parfum avant qu’il ne la sente.
L’eau et le feu se battent, flux vaporisants.
La Forêt nocturne
Fleurs musicales aux mille odeurs colorées,
Tintent les clochettes en la sylve onirique,
De neigeux pollens étincelant saupoudrées.
Charmille d’un arbuste, au creux d’un feu-follet,
Joue un jeu magique un petit être violet.
Le rêveur avance en un ruisseau féerique
Sur la tendre clairière de mousse et d’épines
Comme une chambre intime embaumée de résines.
CCIV.
Mythe d’un alphabet proto-cananéen,
Le Taureau céleste en poisson astronomique
Plonge, au tour du Delta, dans la porte atlantique.
Mais par les détours d’une roue kabbalistique,
Tel un serpent océanique égyptien
Bras levés, retourne à la croix l’oiseau humain.
L’homme se lève et crie son appel pathétique
Puis retombe accroupi comme un reptile ancien.
Fantaisie nocturne
Au moment de la nuit où la sylve a des yeux,
Or qu’à l’épuisement s’enrhument les babils
Des courlis ainsi que des sylphes silencieux,
Quand les saules pleureurs écument de leurs cils
La vase du marais qui s’endort et pétune
Un nuage estompé par le flambant reflet
Des feux follets mêlés aux rayons de la lune,
Mon souffle est prêt de s’éteindre et mon cœur se tait
Comme pour vibrer au chant des chouettes chevêches.
Alors, des constellations d’ondines revêches
Embrasent leurs auras de sinople éclatant
Dont la chandelle ubuesque expire en grésillant
Tel un prisme ardent à chaque fois que la brise
Tourne la feuille argent des aulnes qu’elle irise.
Dialogue onirique
Le désir du Néant a conduit plus d’un homme
A songer, or que le sommeil ne venait pas,
Aux infinies douceurs de son propre trépas.
Les voluptés de l’oubli s’ouvrent parfois comme
Une naissance à un autre univers conscient.
-Car c’est seulement lorsque l’on ne veut plus être,
Que l’on est réellement.- Ainsi déficient,
Je descendis malgré moi dans le gouffre traître,
Comme nageant parmi les laves corrosives,
Tandis que ma chair fondue semblait me quitter
A mesure que j’allai par l’immensité
D’un cratère où m’englobaient, formes primitives,
Les cercles mystérieux de la métempsycose.
Par delà les épais manteaux d’or et de braise,
En des cavernes où l’esprit, mal à son aise,
Parmi des limbes argentés se décompose,
Je plongeai en proie à une harmonie immonde.
Tout n’était que notes et rythmes affolés,
D’un agencement trop dément pour notre monde
Ainsi qu’un clavecin en spasmes effilés,
Plus éloquent que les stances d’Anacréon,
Ou tel un orgue au ventre en spire interminable
Pliant l’espace-temps comme un accordéon.
Alors je devinai l’Enorme abominable,
Au milieu de cette étrange cacophonie :
Etait-ce un fœtus, un monstre céphalopode ?
La forme inachevée, anormale et honnie
D’une phalène dont la vague angoisse rode ?
Je ne sais précisément ce que nous nous dîmes,
Conversant en esprit au fond des noirs abîmes,-
Mais cette rêverie sublime, or que j’oublie,
Me laisse à cet instant comme une nostalgie.
L’Union spirituelle
Nous nous retrouverons, baignés par l’air bleuté
D’un océan spirituel de volupté.
Et nous nous étreindrons ardemment d’âme à âme
Pareils à deux papillons autour d’une flamme,
Songeant aux amours brisées de nos corps de chair.
Nos désirs éthérés, semblables à l’éclair,
Nageront l’un vers l’autre, esprits purs et glorieux,
Portés par la passion qui pourfend les cieux !
Alors, librement, l’Androgyne originel,
Tout de lumière éblouissante auréolé,
Fleur d’un Nirvana d’azur sombre et velouté,
Embrassera les feux de son rêve éternel.
Joël Gissy
Les livres : http://joelgissypoesie.blogspot.com/p/les-recueils.html
Les poèmes de la soirée :
V.
(Extrait du recueil "Noctifer, Le porteur de nuit")
Je crois aux dieux féconds des mers originelles
Régnant sur les palais de cités éternelles
Et vois au fond des flots de vastes sanctuaires
Dentelés de coraux, des rivages qui plongent
Parmi les blancs récifs et les tertres qui songent
Dans l’immensité bleue de gouffres somptuaires
En un monde abyssal plus ténébreux et vague
Qu’une fosse océane. Et maint flasque géant
Dans ce visqueux éther ondule fainéant,
Sombre et tentaculaire, or que son ventre élague
Des jardins suspendus comme des cathédrales,
Tandis que dans la nuit scintillent les yeux pâles
Des calamars craintifs. Mais l’austère musique
De ce chaos immonde a d’étranges merveilles
Dont chaque bulle blonde éclot dans les oreilles
De quelque vieux démon, physeter fantastique
Qui gronde certain soir. Et ce chant de sirène
En mon esprit résonne et charme mes pensées,
Comme si quelquefois des profondeurs glacées
Montait l’appel d’une Vénus anadyomène.
Rassemblement de goélands
Sur un port sétois hurlant d’oiseaux nasillards
Ainsi qu’un peuple désordonné de voilures,
C’est un plaisir intense aux abîmes blafards
Dont la profondeur vague évoque les peintures
D’un artiste de plage aux mains brûlées de sel,
Que de rêver parmi ces temples du voyage
A des contrées sans âge au rivage pastel.
Alors, tandis que l’ombre de mon esprit nage
En des limbes sablés de sphères prismatiques,
Où l’air du large abonde au soir montant des criques,
Une silhouette au contour d’aérolithe,
Ecumant en mille gerbes de lueur sombre,
Replonge ainsi qu’un étincelant monolithe
Au milieu d’un nuage aux phosphores sans nombre.
Les Halieutiques de Delphes
Dans les couloirs d’un temple où les dauphins s’ébattent,
Qui donne sur la mer d’un bleu vésuvien
Pénétré par le ciel rose aux moiteurs timides
Qu’arrosent caverneux leurs rires qui éclatent,
Deux sirènes hybrides, montées du bassin,
S’enlaçant guident parmi ces canaux limpides
L’étranger que caresse un ballet chimérique.
Il s’abandonne au son de trompes et de conques,
Etranges, comme émanées d’invisibles jonques !
Et porté par ces flots en leur grotte aquatique,
Nageant tel un centaure, l’autre explorateur
Contemple des dieux philistins sous cette crique
Que balaie sa mémoire en un éveil trompeur.
A travers les cristaux
1.
Par une noire pierre de solstice
Près des Pierres Blanches, en l’interstice
Fendu sur le sommet du Mont Saint-Clair,
Refuge d’hermites, puis de Cathares,
D’un ancien temps préhistorique, un vert
Rayon, frappe le roc des dieux lares.
L’Apocalypse en tout est permanente
Et se dévoile à mi-chemin de pente.
2.
L’au-delà creux d’une vie parallèle,
Rêve d’âmes gigognes, se révèle.
Dans un utérus thanatonautique,
Vers la lueur d’un soleil souterrain
Forçant du temple la porte d’airain,
Au puits, l’enfant me guide, énigmatique.
Attendrissement
Je suis pareil à ces hippocampes d’Ilion,
Qui par milliers, amicaux, vont voir les plongeurs
Parmi l’espace scintillant des profondeurs,
Et meurent soudain à la première émotion !
Avant de remonter, triste nuée de corps,
Les petits équidés, mignons et pleins de grâce,
Font un ballet aquatique, et plus d’un embrasse
Du bout de sa trompe aimable, en ces beaux décors,
Le curieux qui les trouble, et l’aime et l’accompagne.
Alors, vers la lumière ondoyante il regagne,
Porté par l’écume oublieuse aux plages claires,
La vaste éternité dont à peine affleurait
Ces myriades de consciences élémentaires
Dont s’éteint en un souffle indistinct le secret.
Les Mystères de Diane
La Dame de l’Est
Dans une atmosphère aux vapeurs odorifères
Que les clartés semées d’un vert étincelant,
Filtrant des rameaux mentholés des conifères,
Enchantent sous l’éclat d’un diurne croissant,
La sylve en pleurs soudain frémit comme animée
D’un reflet qui circule en brise scintillante
Où tintent les rayons de la lune implorante.
Parmi la nuit bleutée qui semble illuminée
Par des constellations de lucioles, s’ébattent
Les mouvants tableaux de ménades sous leurs voiles
Qui tourbillonnent aux lueurs des feux, et battent
Ainsi que de blancs Saint-Elmes sous les étoiles
Les ondoiements légers d’ors flottants et gracieux.
Mais, révélée d’une charmille où se déploie
Ce florilège esthétique et voluptueux,
Comme émergée des toiles d’un halo de soie,
Se révèle, inconnue, sur la mousse imprégnée
De son pas où fleurissent les pensées, Diane,
Or que plane une étrange et douce mélopée,
Couronnée de lierre, en sa nudité diaphane
Surgie telle une biche au bord de la clairière.
Et toute encor enveloppée de cheveux d’anges,
Au milieu des damnées qui chantent ses louanges,
Elle déroule un flot d’ambre sur la rivière,
Cependant que la Nature des origines,
Tel un cercle d’eau qui se souvient de son centre,
Reprend vie et s’anime en un frisson où entre
Sa main liseronnée, de ces rondeurs divines
Jusque dans les tréfonds nébuleux des courants.
Les animaux en couples viennent l’adorer ;
Tout près, dans l’ombre, on sent des spectres hésitants.
L’abondance a versé, rituel spontané,
Emouvant l’horizon nimbé d’un rose ancien,
Jusqu’à l’apothéose, un pâle épanchement.
Et perçant les blanches traînées du ciel changeant
Juste éclose de l’orgie, la rosée qui vient,
Evadée un instant de sa corolle humide,
Se meurt dissipée dans la fraîcheur du matin
Qui déjà en des nuées de sylphes, sapide
Confond comme un murmure oublié son parfum.
La Vieille de la Mer
D’Ægypans sacrés au bord des sylves d’Egée
Qu’en des lueurs argentées, nues sur l’onde lisse,
Célébraient en secret des vierges, complice,
Tricotant comme une araignée, la femme âgée,
Un peu tannée par un vieux soleil, se souvient.
«C’était (elle déraille !) avant, bien loin avant
Qu’outre allant par le sud Ménélas vînt du Nord.
Serpent de mer s’en va dans l’écume et revient.
Veux-je dire, en premier, transportés par le vent,
Plus long que mes blancs cheveux d’un subtil accord. »
-Quant aux fiancées de la nuit, fleurs de magies ?
Chantant aux brumes bleues d’étranges élégies,
A la pleine lune, en une crique atlantique
Que parfume un bosquet d’eucalyptus, tragique,
On les voit encor, irisant leur peau diaphane,
Comme aux griffes des vieillards de Piola, Suzanne.-
Puis, l’enfant se tait, pythie à faire pitié.
Raisonnablement fou qui la croit à moitié.
La Panique de Cernunnos
Perpétuelle expansion du nœud fermé,
Complexe aux bois de Cernunnos entrelacé
En verte frange après les branchages moussus,
Le dragon se confond dans les chênes barbus.
Quand il vient à pas échassés sur ses sabots,
Au détour de la clairière, des marigots
D’un sentier de cerfs ; ou triomphant est juché
Assis en fleur pour la maîtresse du rucher
Son thyrse en caducée à ce serpent offert
Ainsi qu’un trône où Mélusine ouvre sa chair,
Naturel sauvage et sagesse en doux bourdon
Grand Tout bestial accouplé à sa conception !
Vaisseaux de la sylve aux brumes aérienne
Qui court de l’humus dans les noirceurs, souterraine,
Dont la conscience à l’homunculus est semblable
De l’humain par sa double nature insondable,
Il tremble, fœtus dénudé par l’existence
En soi enfouie de sa potentielle omniscience.
L’Arbre à papillons
Par cette canicule où s’abattent les eaux,
Au soir, quand s’apaisent les diurnes éléments,
Voletant autour des buddleias palpitants,
Les papillons roux semblent de petits oiseaux.
La vanessa, telle une Atlante évanescente,
Se pose en son parfum avant qu’il ne la sente.
L’eau et le feu se battent, flux vaporisants.
La Forêt nocturne
Fleurs musicales aux mille odeurs colorées,
Tintent les clochettes en la sylve onirique,
De neigeux pollens étincelant saupoudrées.
Charmille d’un arbuste, au creux d’un feu-follet,
Joue un jeu magique un petit être violet.
Le rêveur avance en un ruisseau féerique
Sur la tendre clairière de mousse et d’épines
Comme une chambre intime embaumée de résines.
CCIV.
Mythe d’un alphabet proto-cananéen,
Le Taureau céleste en poisson astronomique
Plonge, au tour du Delta, dans la porte atlantique.
Mais par les détours d’une roue kabbalistique,
Tel un serpent océanique égyptien
Bras levés, retourne à la croix l’oiseau humain.
L’homme se lève et crie son appel pathétique
Puis retombe accroupi comme un reptile ancien.
Fantaisie nocturne
Au moment de la nuit où la sylve a des yeux,
Or qu’à l’épuisement s’enrhument les babils
Des courlis ainsi que des sylphes silencieux,
Quand les saules pleureurs écument de leurs cils
La vase du marais qui s’endort et pétune
Un nuage estompé par le flambant reflet
Des feux follets mêlés aux rayons de la lune,
Mon souffle est prêt de s’éteindre et mon cœur se tait
Comme pour vibrer au chant des chouettes chevêches.
Alors, des constellations d’ondines revêches
Embrasent leurs auras de sinople éclatant
Dont la chandelle ubuesque expire en grésillant
Tel un prisme ardent à chaque fois que la brise
Tourne la feuille argent des aulnes qu’elle irise.
Dialogue onirique
Le désir du Néant a conduit plus d’un homme
A songer, or que le sommeil ne venait pas,
Aux infinies douceurs de son propre trépas.
Les voluptés de l’oubli s’ouvrent parfois comme
Une naissance à un autre univers conscient.
-Car c’est seulement lorsque l’on ne veut plus être,
Que l’on est réellement.- Ainsi déficient,
Je descendis malgré moi dans le gouffre traître,
Comme nageant parmi les laves corrosives,
Tandis que ma chair fondue semblait me quitter
A mesure que j’allai par l’immensité
D’un cratère où m’englobaient, formes primitives,
Les cercles mystérieux de la métempsycose.
Par delà les épais manteaux d’or et de braise,
En des cavernes où l’esprit, mal à son aise,
Parmi des limbes argentés se décompose,
Je plongeai en proie à une harmonie immonde.
Tout n’était que notes et rythmes affolés,
D’un agencement trop dément pour notre monde
Ainsi qu’un clavecin en spasmes effilés,
Plus éloquent que les stances d’Anacréon,
Ou tel un orgue au ventre en spire interminable
Pliant l’espace-temps comme un accordéon.
Alors je devinai l’Enorme abominable,
Au milieu de cette étrange cacophonie :
Etait-ce un fœtus, un monstre céphalopode ?
La forme inachevée, anormale et honnie
D’une phalène dont la vague angoisse rode ?
Je ne sais précisément ce que nous nous dîmes,
Conversant en esprit au fond des noirs abîmes,-
Mais cette rêverie sublime, or que j’oublie,
Me laisse à cet instant comme une nostalgie.
L’Union spirituelle
Nous nous retrouverons, baignés par l’air bleuté
D’un océan spirituel de volupté.
Et nous nous étreindrons ardemment d’âme à âme
Pareils à deux papillons autour d’une flamme,
Songeant aux amours brisées de nos corps de chair.
Nos désirs éthérés, semblables à l’éclair,
Nageront l’un vers l’autre, esprits purs et glorieux,
Portés par la passion qui pourfend les cieux !
Alors, librement, l’Androgyne originel,
Tout de lumière éblouissante auréolé,
Fleur d’un Nirvana d’azur sombre et velouté,
Embrassera les feux de son rêve éternel.
Joël Gissy
Les livres : http://joelgissypoesie.blogspot.com/p/les-recueils.html
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